Akoélé et Akoko

Par Florence

Dans le Golfe de Guinée les jumeaux sont considérés comme des demi-dieux. Messagers du bonheur et de l’abondance, ils apportent protection et richesse aux parents qui les accueillent. Avoir des Vénavi est une grâce pour la mère et une bénédiction pour le père.

Akouwa et Yao rêvent depuis leur mariage d’avoir des enfants jumeaux, alors quand Akouwa tombe enceinte, elle va consulter Ahouna, le meilleur féticheur de Vitse. Les herboristes et les féticheurs ont des pouvoirs surnaturels. Ils peuvent prédire l’avenir, guérir des maladies et chasser le mauvais sort. Ils détiennent ce don particulier de leurs aïeux.

Ahouna est un homme âgé. Sa maison se trouve à l’écart du village, dans un endroit paisible. La voix d’Akouwa retentit derrière les feuillages qui protègent l’habitation des regards :



- Agoo ! Excusez !
- Amé né va ! Que le visiteur entre !
- Je connais déjà l’objet de ta visite, lui dit Ahouna alors qu’elle avance avec hésitation dans la cour du couvent. Tu es venue consulter les oracles au sujet de ta grossesse .
- Oui Bokogan. Oui grand féticheur.
- Viens, suis moi dans la cabane de divination.

Des statuettes rituelles et des crânes d’animaux sacrifiés entourent la cabane d’argile surmontée d’un toit de paille. Akouwa se déchausse, enlève son corsage et noue son pagne autour de la poitrine puis elle soulève le rideau blanc qui sert de porte à la case et pénètre à l’intérieur.

Ahouna lui montre le siège des visiteurs. Elle s’assoit et le regarde rassembler ses objets de divination. Puis, le féticheur s’installe sur sa natte de raphia. Yeux mi-clos, il attrape quelques cauris et les jette lentement sur le côté. Les cauris roulent. Ils s'immobilisent enfin. Ahouna les examine en silence.



Tous couchés sur le dos, les coquillages montrent l’ouverture.

Le vieil homme se retourne vers Akouwa :
-Wesô ! Soit la bienvenue car tu attends bien des Vénavi.
La joie envahit le coeur d’Akouwa :
- Akpé Bokogan. Merci grand féticheur, dit-elle en se prosternant.
- Mésu akpéo ! Il n’ y a pas de quoi ! Tu devras venir habiter ici dans mon couvent à partir du huitième mois de ta grossesse.
- Akpé Bokogan, le remercie-t-elle encore avec respect.

Akouwa se relève et quitte soudain la case. Elle réapparaît quelques instants plus tard à l’intérieur avec de l’huile rouge et un coq rouge qu’elle dépose aux pieds du féticheur. Puis elle cherche le billet de mille francs demeuré caché dans la couture de son pagne et le tend à Ahouna :
- Akpé Vénavino ! Merci mère des jumeaux. Reviens chercher dans deux jours ma préparation d’herbes. Tu devras la boire. Elle gardera les bébés que tu portes en bonne santé.



Akouwa se prosterne de nouveau tandis qu’Ahouna saisit l’attribut de son pouvoir, un manche d’ébène rattaché à une longue queue de cheval. Par trois fois, son emblème d’autorité atteint le dos d’Akouwa. La divination d’Ahouna est maintenant terminée.

Akouwa se redresse sans un mot et sort de la case. Elle dénoue le pagne de sa poitrine et le réarrange autour de sa taille. Puis elle renfile son corsage, remet ses sandales et reprend le chemin du village d’un pas rapide et léger.

De retour à la maison, elle s’empresse de raconter la prophétie du féticheur à Yao qui rentre du champ :
- Le grand Ahouna affirme que j’attends des Vénavi..
- Des jumeaux, Dieu soit loué ! s’exclame Yao.
- Il doit me préparer une tisane spéciale pour les bébés. Je devrai la boire.
- Nous ferons tout ce que le grand Ahouna demande avec joie.

Ce soir là, Akouwa pile de l’igname. Elle prépare un fufu, le plat des dimanches et des jours de fête. Le couple savoure la pâte onctueuse avec de



la viande de bœuf et une sauce d’arachide grillée. Il partage à la fin du repas le vin de palme que Yao a ramené du champ. Puis les jours et les nuits passent. Akouwa prend régulièrement sa potion d’herbes. Puis arrive le huitième mois. Elle réunit quelques pagnes, rassemble des effets pour les bébés et retourne chez Ahouna accompagnée par son mari.

La période des cérémonies annuelles a commencé et le couvent du féticheur vit au rythme des rituels. Ahouna accueille avec ses adeptes, le couple au milieu de la cour. Après les présentations, Yao s’entretient avec le vieil homme. Il ne doit plus avoir de contact avec son épouse jusqu’à la naissance des jumeaux, et c’est le coeur serré qu’il étreint Akouwa et revient seul au village.

Chez le féticheur, les célébrations battent leur plein. Pieds dénudés, pagnes noués à la poitrine, têtes coiffées d’un foulard blanc, corps tatoués d’argile, les adeptes du grand Ahouna chantent et dansent en l’honneur des fétiches. Les bracelets de perles aux poignets et aux chevilles des femmes crépitent au



rythme des transes. Akouwa participe aux rituels dans la joie. Elle ne voit pas le temps passer.

Une semaine avant la fin des cérémonies, elle ressent les premières contractions. Conscient du risque que représente un double accouchement, Ahouna lui fabrique une nouvelle préparation d’herbes :
- Venavino, mère des jumeaux, cette boisson allégera ta douleur et accélérera la venue au monde de tes jumeaux. dit-il en lui tendant un bol de jus verdâtre et amer.

La potion bue, deux adeptes soutiennent ensuite Akouwa jusqu’à la case qui lui a été réservée. Posée sur un tronc sculpté, une lampe tempête éclaire une natte déroulée sur le sol. Akouwa s’y étend et attend l’arrivée des bébés. Grâce aux herbes d’Ahouna et à l’aide des deux femmes, elle met dans la nuit profonde deux petites filles au monde.

Les deux femmes finissent par ressortir avec les bébés emmaillotés dans un pagne. Resté éveillé, Ahouna attendait assis contre le mur d’argile de sa case



ce moment avec impatience. Il prend les jumelles tour à tour dans ses bras et leur souffle à voix basse ces paroles sacrées :
- Dagbénéva ! Miaoezon ! Que la paix soit avec vous ! Soyez les bienvenues !
Les bébés peuvent être ramenés à Akouwa.

Au lever du jour, un messager est envoyé chez Yao. Fou de bonheur d’être papa de deux jumelles, il se précipite chez Ahouna avec une chèvre, un coq et du sodabi. Après avoir retrouvé Akouwa et ses filles dans leur case, il rejoint le féticheur afin de préparer avec lui la cérémonie de Vénavizé.

Pendant ce rituel, deux statuettes jumelles représentant les Vénavi sont liées ensemble puis plongées dans un canari d’eau orné de trois foulards : un blanc pour que la paix règne dans le couple, un rouge pour qu’aucun esprit malfaisant ne puisse verser le sang des Vénavi et un noir pour éloigner des jumeaux toute mort accidentelle.

Le visage solennel, Yao porte ses jumelles. Il avance vers le petit autel sur



lequel Ahouna a déposé le vase cérémoniel. Après avoir invoqué la protection des ancêtres, le féticheur retire du canari les deux statuettes et les appose sur chacun des bébés. Il déchire ensuite chaque foulard en lanières qu’il noue à leurs petits poignets.
- Akoélé, tu apporteras l’abondance et la joie.
- Akoko, tu procureras la santé et la paix.
Le rite de Vénavizé accompli, un repas accompagné de chants et de danses a lieu. Puis Akouwa et Yao peuvent maintenant rentrent chez eux.

Quelques années plus tard, quand Akoélé et Akoko ont une petite soeur, Akouwa et Yao l’appellent Dovi. Un petit garçon aurait été appelé Edoh, car chez nous, toutes les Dovi et les tous Edoh suivent des enfants jumeaux. Quand aux statuettes des jumelles, elles sont précieusement conservées par la famille et sont rituellement vénérées, nourries et choyées.

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