Mon jardin de Péka

Par Merick

Je m'appelle Merick et tous les week-ends comme mon père, et avant mon grand-père, je vais entretenir mon jardin de Péka. J'aime Péka. Cela me rappelle des souvenirs. Mon grand-père par exemple, quand à l'approche de la pleine lune, il partait avec ses plants de canne et son outillage à pieds.

Toujours levé à l'aube, il cheminait de Kourou jusqu'au terrain, puis creusait ça et là ses trous, y enfonçait bien droit ses plants, rajoutait de la terre autour, et les arrosait avec de l'eau de pluie stockée dans des bidons.

Maintenant à Péka, il faut traverser le feuillage des cannes pour accéder au carbet familial. À l’exception du toit en tôle, la construction est toute faite de bois. Les poutres et les planches proviennent des arbres qui se trouvaient au départ sur le terrain.



Les jours de chasse à l’affût, je me souviens avoir vu mon grand-père, et aussi mon père, accrocher leur fusil à un clou planté dans le pilier. La technique de l’affût est typiquement créole. Il faut d’abord trouver l’appât, c’est-à-dire des mangues mûres, puis deux arbres côte-à-côte afin de pouvoir clouer entre les troncs, des branches les unes au-dessus des autres.

Une fois leur échelle de fortune achevée, ils plaçaient les mangues en bas et grimpaient s’assoir tout en haut. Après des heures et des heures d’attente, ils repéraient l’agouti, le cochon bois ou la poule d’eau, qui allait devenir leur proie.

Silencieux, retenant leur souffle en mettant leur cible en joue, ils échangeaient un regard complice. Ils décidaient sans bruit, lequel des deux tirerait d’abord. Le coup partait :
- A mo ki gainl en premier ! 



Mais il n’y avait pas que la chasse à Péka. Il y avait aussi la pêche au Bois Diable. Le lac n’était pas très loin de la maison. Avec mon père, nous y allions à pied. Lui, portait le filet et moi, le seau. L’endroit était sauvage. Nous entrions dans l’eau sombre sans retrousser nos pantalons à cause des éventuels serpents. Nous redoutions la présence d’un graje carreaux, le plus dangereux de tous. Nous déroulions notre filet muni de petits flotteurs et le fixions avec deux piquets de bois. Puis, nous rentrions.

Tôt le lendemain matin sur la rive, nous relevions le filet. Nous n’étions jamais certains de la prise. Parfois, il n’y avait rien. Seulement des algues et de vieilles branches. Bredouilles, nous remballions alors le matériel. Et parfois... il y avait des palikas !

Palika est le nom que les Créoles donnent au tarpon. Les Kali’na, eux, disent abalitsa. Le palika ressemble à une sardine géante. C’est un mangeur de crabe. Et des crabes, au fond du lac du Bois Diable, il y en avait pleins. C’était donc la prise la plus fréquente que nous faisions.



Mais l’enfance passe. Maintenant je suis grand et je ne le regrette pas. Ces moments heureux vécus avec mon père et mon grand-père, resteront toujours en moi. Leur souvenir me donne la force mentale d’affronter la vie.

Ma vie, je la veux simple. Je la veux aussi avec plus de joies que de peines. Je vais bientôt quitter l’école pour devenir soldat. Mon cousin est soldat. Il dit qu’il aime son métier et qu’il le rend heureux. L’autorité ne sera pas un problème. J’ai l’habitude. À l’école, on n’arrête pas de vous donner des ordres.

Comme mon cousin, je voudrais être brancardier. Il est en Afghanistan. Il ramasse les blessés et les morts de l’armée française. Il dit que cela laisse des séquelles mais qu’il est content de servir la liberté. Moi aussi, je veux servir la liberté.

guyane